Attente

En ce jour sinistre de pluie, voici un peu de lecture. Enjoy !

Marguerite sortit de la maison. Assise sur les marches du perron se trouvait sa sœur Edith, en petite robe d’été blanche. Ses grands yeux bleus étaient fixés vers le portail. En apercevant Marguerite, Edith poussa un grand soupir et posa sa tête entre ses mains, les coudes sur les genoux. Elle savait que sa sœur allait venir lui poser des questions et elle n’était pas vraiment d’humeur.

Toutes deux étaient très différentes, autant physiquement que mentalement. Marguerite était aussi brune qu’Edith était blonde. Marguerite était plutôt exubérante et sociale. Edith était plus effacée et discrète. Cependant, elles avaient toutes les deux les yeux de leur mère, deux grands saphirs scintillants, toujours joyeux. Elles s’aimaient d’un amour profond. Elles ne se comprenaient pas toujours, mais cela ne les empêchaient pas de très bien s’entendre, du moins, la plupart du temps.

Marguerite agita sa main en souriant. Elle s’approcha de sa sœur et lui demanda :

-Qu’est-ce que tu fais là ?

Ca y est. L’interrogatoire allait commencer. Marguerite n’allait pas comprendre, alors Edith décida de rester évasive.

-J’attends.

Marguerite n’eut pas l’air tout à fait satisfaite. Elle ne supportait pas quand sa sœur ne voulait pas tout lui dire. Pour elle, deux sœurs ne devaient pas avoir le moindre secret l’une pour l’autre. Elles étaient du même sang tout de même !

-Tu attends quoi ? dit-elle en s’asseyant à côté d’Edith.

-Je ne sais pas encore. Mais j’ai le sentiment que je quelque chose va arriver. Quelque chose de bien et de bon !

-Tu vas attendre longtemps ? Parce qu’il commence à faire un peu froid, tu ne trouves pas ?

Pour appuyer son propos, Marguerite frissonna et se frictionna les bras. Marguerite aimait bien les mises en scènes. Elle en faisait toujours un peu trop. Mais c’est ce qui la rendait si attachante aux yeux de tous, sauf à ceux de sa sœur.

-J’attendrai une éternité s’il le faut ! Je sais au fond de moi, au plus profond de mon être, que quelque chose qui m’attend aussi va arriver.

Marguerite haussa les épaules. Edith était trop rêveuse pour elle. Trop poétique aussi. Elle préférait les gens terre à terre. Au moins, elle n’avait pas de problème pour les comprendre.

-Mais imagine que cette « chose », comme elle t’attend, ne bouge pas, elle non plus. Comment veux-tu qu’elle arrive jusqu’ici ?

-Qu’est-ce que tu peux être sotte parfois ! s’exclama Edith. Elle me cherche ! Elle m’attend sans le savoir, en me cherchant. Et moi je sais que si je bouge, je vais la rater. Et il ne faut pas que je la rate. Tu comprends ?

-Non. Désolée répondit Marguerite en secouant la tête.

-Ne t’excuse pas. Ça ne sert pas à grand-chose.

-Dis que je t’embête pendant que tu y es !

-C’est exactement ça, tu m’embêtes ! J’étais bien avant que tu arrives avec toutes tes questions embêtantes !

C’était agaçant à la fin, cette manie qu’avait Marguerite de tout rendre énervant. Comme si Edith avait envie d’attendre jusqu’à demain, comme si elle aimait le vent frais qui lui donnait la chair de poule, comme si elle aimait attendre pour peut-être rien ! Son cœur battait trop vite, et cela lui donnait mal à la tête. Le comportement de Marguerite ne l’aidait pas non plus à aller mieux.

-Puisque c’est comme ça, je rentre ! Quand madame aura fini de raconter n’importe quoi, elle ferait mieux d’en faire autant. Tu vas attraper la mort si tu restes là trop longtemps. Tiens, prends mon gilet. Edith voulu ouvrir la bouche pour protester, mais elle n’en eu pas le temps, car Marguerite répliqua: Non ! Ne dis rien. Met-le et tais-toi ! Je vais faire à manger. Tu veux quoi ?

Leurs parents étaient partis passer la soirée dehors avec leur frère Henri, le benjamin de la famille, pour fêter son excellent bulletin. Ses sœurs n’avaient pas eu le droit de venir à cause de leurs disputent incessantes. « Ce soir sera l’occasion de mettre les points sur les i et de vous réconcilier» avait dit leur mère avant de partir.

-Je ne sais pas. Je n’ai pas très faim.

-Tu m’embêtes toi aussi à ne jamais rien savoir ! Tu as faim en plus ! J’entends ton ventre gargouiller, alors arrête de me mentir, ce n’est pas la peine. Saucisse purée ça t’irais ?

-Pourquoi tu me demandes ? Tu ne sais faire que ça, de toute façon…

-Oh ! Ça suffit ! J’arrête de parler avec toi. Et puis si je suis si nulle que ça, tu n’as qu’à faire la cuisine ! C’est toi l’aînée après tout, c’est à toi de prendre soin de moi et pas l’inverse.

Marguerite se leva d’un bond et courut à l’intérieur. Edith allait enfin pouvoir respirer un peu et attendre paisiblement.

De frais, le vent était devenu froid tout à coup. Mais Edith ne baissera pas les bras. Cela faisait beaucoup trop longtemps qu’elle attendait ce moment. Presque deux ans à vrai dire. Cela faisait deux longues années que tous les soirs, pendant une heure, elle s’asseyait sur les marches du perron ou dans le sofa de l’entrée, les yeux fixés vers le portail, le cœur battant. Comment sa sœur ne l’avait-elle pas remarquée avant ? Elle n’en savait rien. Mais au fond, cela l’arrangeait.

L’heure s’écoula lentement. Edith ressentie chaque seconde comme un calvaire. Puis aussi soudainement qu’elle avait débutée, elle s’acheva et une nouvelle commença. Dans vingt-quatre heures, Edith ira reprendre sa place sur le perron.

Un an s’écoula encore. Mais rien n’arriva. Pourtant, jamais Edith ne perdait courage. Un jour, se répétait-elle, un jour, ma patience sera récompensée.

Puis un soir, Marguerite ne rentra pas. Et il se pourrait qu’elle ne rentre plus jamais. Marguerite s’est tout simplement envolée. Elle a disparue. Personne ne sait ce qu’il s’est passé. Le matin elle était partie en souriant et en chantant après une ultime dispute avec sa sœur, puis elle n’était pas revenue.

Edith pleura beaucoup. Marguerite lui manquait. Il y avait comme un trou dans sa poitrine. Elle s’en voulait. A quoi bon se disputer quand on peut perdre à tout moment ceux qu’on aime ? Elle aurait dû être plus gentille, plus douce…

Son attente prit tout son sens. Depuis tout ce temps, elle attendait le retour de Marguerite sans le savoir. C’est à l’heure exacte où Marguerite avait disparue qu’elle attendait désespérément. Alors son attente continua, encore et encore. Mais tout espoir n’était pas perdu. Car aussi sûrement qu’elle savait qu’elle attendrait toujours, elle savait que Marguerite la cherchait.

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