(Dé)Boire

Cela faisait des mois qu’ils s ‘aimaient. Et puis un matin, sans prévenir, il est parti, sans donner aucune explication. Il la laissa seule, sur le pas de la porte, en pleurs et en pyjama, l’esprit encore tout engourdi de sommeil. Elle ne cria pas, ne le supplia pas de rester. Et elle le regarda descendre les escaliers sans se retourner vers elle.

Lentement, comme dans un rêve, elle referma la porte. Quelque chose venait de se briser en elle. Une vague de douleur la submergea. Un instant, elle en resta le souffle coupé, les mains sur son visage. Les larmes dévalaient ses joues comme un torrent, mais aucun son ne sortait de sa bouche. Silencieuse douleur. Elle fit quelque pas dans son appartement vide, cherchant du regard une preuve que ce qu’il venait de se passer n’était qu’un terrible cauchemar. Mais toute présence de lui avait été effacée. Sa console avait disparue, tout comme son manteau, sa collection de BD, sa brosse à dent, son déodorant, son caleçon ou ses paires de chaussettes. Seules les photos étaient là, affichant deux jeunes souriant, s’embrassant, faisant la fête, s’aimant tout simplement.

Parti, parti. Il était parti. Et maintenant elle se retrouvait seule dans son petit appartement. Sans lui, sans l’amour de sa vie.

Ils avaient fait des plans ensemble. Ils devaient partir en Irlande cet été, faire un road-trip. A la rentrée, ils auraient du chercher un appartement pour tous les deux. Leur petit nid. Leur chez eux. Puis elle avait aussi imaginé qu’il l’aurait demandé en mariage l’année prochaine. Ils se seraient mariés en juin, ou en juillet peut-être. Puis ils auraient eu des enfants, deux, et un chien. Ils auraient été heureux ! Mais il est parti. Et la voilà seule, avec le souvenir amer de ses rêves pour le futur.

Hagarde, elle s’écroule sur le canapé. Que doit-elle faire maintenant ? Il y a comme un trou dans son cœur. Un trou béant, énorme, qui aspire tout. Elle a l’impression de n’être qu’un vide, du vent, du néant. Elle a tout simplement l’impression de ne plus exister. Mais aujourd’hui, elle doit travailler. Elle n’a pas le choix. Alors, courageusement, elle se lève et se prépare.

La journée se déroule comme dans une sorte de nuage ouaté. Plus rien ne lui parvient. Ni les sons, ni les goûts, ni les odeurs. Plus rien n’a de sens. Elle agit de manière mécanique, elle rit quand il le faut, mange quand il le faut, répond quand il le faut. Mais elle n’est pas là. Elle pense à lui, à son absence qui va la dévorer tout à l’heure, quand elle rentrera chez elle, et que seul le vide répondra à son cri de désespoir.

À la fin de ses heures de travail, elle décide de ne pas rentrer. Elle devrait appeler sa meilleure amie. Mais elle doit être trop occupée, entre son mari et ses jumeaux. Alors elle décide d’aller dans un bar. Elle y passe la soirée. D’abord, elle se contente de quelques verres de bière, mais pourquoi s’arrêter là ? À présent, elle boit des tequilas, des mojitos, prend des shoots. Elle ne sait plus à combien elle en est. Mais elle se sent bien. Autour d’elle, le monde tourne. Il est flou, complètement flou. Un homme lui parle, puis la touche. Enfin il l’embrasse. Elle le laisse faire. Elle s’en fiche. Elle ne sait plus qui elle est. Elle oublie. Elle s’oublie. Elle l’oublie.

Elle se réveille nue, contre un homme, nu lui aussi. Une douleur sourde lui vrille les tempes. Sa bouche est sèche, pâteuse. Elle a si soif ! Elle s’assoit lentement, mais le monde est sans dessus dessous. Elle ne sait pas où elle est, ni ce qu’il s’est passé ses dernières heures.

La réalité la frappe soudainement. Il est parti. Parti. Elle se roule en boule et se met à pleurer. Elle ne parvient plus à contenir ses sanglots. Le vide a réapparu dans son ventre. Elle se sent nauséeuse. Elle se penche en avant et vomi ses trippes sur le tapis. À côté d’elle, l’homme émet un grognement avant d’ouvrir un œil. La voyant dans cet état là, il se lève, en panique. Rapidement il attrape son caleçon et un tee-shirt sale, et court dans la cuisine. Il en revient avec de quoi nettoyer le tapis. Une fois satisfait, il revient avec un grand verre d’eau et deux cachets d’aspirine. Il ne lui demande rien, et elle lui en est infiniment reconnaissante. Elle avale ses cachets et s’enfonce sous les draps. Il revient près d’elle, et lui demande d’une voix douce si tout va bien. Elle hoche la tête pour lui dire que non, tout est loin d’aller bien ! Il ne lui demande rien de plus. Il se couche près d’elle et lui caresse les cheveux en lui murmurant des paroles réconfortantes. Au bout de quelques minutes, elle se rendort, vaincue par la tristesse, l’alcool et le chagrin.

Elle est réveillée le lendemain par une agréable odeur de café et de croissant chaud. Pendant un instant, elle croit être chez elle, avec celui qu’elle aime. Mais non, il faut qu’elle se ressaisisse. Tout cela est fini. Fini. Il est parti.

L’homme entre dans la chambre. Il se présente, Julien, enchanté. Il se doute bien qu’elle ne se souvient plus de lui. A son tour elle dit son prénom, et il rit en lui disant qu’il s’en souvenait très bien. Elle lui dit à quel point elle est désolée pour hier soir, et lui raconte ses déboires amoureux de la veille. Il hoche la tête, l’air grave. Il l’écoute vraiment. La comprend. Il a lui même vécu la même chose quelques temps auparavant. Le trou qu’elle ressent, lui aussi le connaît bien. Mais étrangement, depuis qu’il la vu hier soir dans ce bar, il va mieux.

Ils décident de se revoir. Peu à peu, entre eux, les choses évoluent. Peu à peu, le vide se comble, jusqu’à disparaître complètement. Ils se comblent, et sont comblés.

De la douleur peut naitre un sentiment magique : l’amour. Il suffit de savoir ouvrir les yeux, et de ne pas se noyer dans son désespoir.

 

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